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ou sa vie 1. Un peuple soumis, qui auroit cette sécurité-là, bien ou mal fondée, seroit aussi heureux qu’un peuple libre, les mœurs d’ailleurs égales : car les mœurs contribuent encore plus au bonheur d’un 5 peuple que les loix.

1. Retournez page 17 : t Je ne pense nullement... »

Cette sécurité de son état n’est pas plus grande en Angleterre qu’en France, et elle n’étoit guère plus grande dans quelques anciennes républiques grecques, qui, comme dit Thucydide, étoient divi

1o sées en deux factions. Or, la liberté faisant souvent naître dans un État deux factions, la faction supérieure se sert sans pitié de ses avantages. Une faction qui domine n’est pas moins terrible qu’un prince en colère. Combien avons-nous vu de parti

15 culiers, dans les derniers troubles d’Angleterre, perdre leur vie ou leurs biens ! Il ne sert de rien de dire qu’on n’a qu’à se tenir neutre. Car qui peut être sage quand tout le monde est fou ? Sans compter que l’homme modéré est haï des deux

2o partis. D’ailleurs, dans les États libres, le menu peuple est ordinairement insolent. On a beau faire, il n’y a guère d’heure dans le jour où un honnête homme n’ait affaire avec le bas peuple, et, quelque grand seigneur que l’on soit, on y aboutit toujours.

25 Au reste, je compte pour très peu de chose le bonheur de disputer avec fureur sur les affaires d’État, et de ne dire jamais cent mots sans prononcer celui de liberté, ni le privilège de haïr la moitié de ses citoyens.

1. *Mis dans mes Pensées morales*.