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lui montrant les restes de ces enfants, qu’il lui a servis dans le repas, lui dit :

« Venere. Gnatos ecquid agnoscis taos ? »

A quoi, Thyeste répond : 5 « Agnosco fratrem. >

Crébillon a traduit fort bien :

« Reconnois-tu ce sang ? —Je reconnois mon frère.»

Mais, par le défaut de la langue, le françois ne fait pas tant d’impression que le latin. Une rime 1o féminine est trop douce pour exprimer le sentiment de Thyeste. Outre que le pronom mon, que notre langue nous donne là nécessairement, gâte la pensée : mon frère étant un nom de tendresse, là, comme de consanguinité. J’aurois autant aimé

o mettre :

« Je reconnois Atrée. »

780 (721. I, p. 485). — Quand quelqu’un me demande si un mot est françois, j’y puis répondre. Quand on me demande si une diction est bonne, ’"e n’y puis répondre, à moins qu’elle ne choque la grammaire. Je ne puis savoir le cas où elle sera bonne, ni l’usage qu’un homme d’esprit en pourra faire : car un homme d’esprit est, dans ses ouvrages, créateur de dictions, de tours et de conceptions ; il habille sa pensée à sa mode, la forme, la crée par des façons de parler éloignées du vulgaire, mais qui ne paroissent pas être mises pour s’en éloigner. Un homme qui écrit bien n’écrit pas