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V. C’est l’effet d’un mérite extraordinaire d’être dans son jour auprès d’un mérite aussi grand.

VI. *Je disois : «Je suis amoureux de l’amitié. »*

’1082 (1972. III, f° 278). — Voici le texte d’un écrit 5 fait par une femme de seize ans ; c’est la feue marquise de Gontaud. Je n’ai pas vu la pièce, qui étoit le caractère de la princesse de Clives ; mais j’en ai ouï rapporter cette pensée : « Les cœurs faits pour l’amour ne s’engagent pas aisément. >

1o Je conçois que cette pensée est vraye.

Le prince de Clèves étoit aimable ; il fallut attendre le duc de Nemours. Un cœur fait pour l’amour ne s’engage pas aisément, parce qu’un cœur qui peut être touché par tout ce qui sera aimable n’est

15 point fait pour l’amour, mais pour une passion commune. Une femme qui pourroit s’engager à un des vingt hommes aimables à qui on pourroit la lier, et s’y engager quel qu’il fût des vingt, n’a point un cœur fait pour l’amour. Un cœur fait pour l’amour

2o se rend à un assemblage de qualités aimables qui répondent à l’assemblage des siennes, qui forme (sic) une combinaison particulière qui ne se trouve point ailleurs, parce que c’est un cas particulier d’une infinité de combinaisons. C’est pour lors

25 qu’un cœur est fait pour l’amour, parce que l’objet qu’il aime n’a pu, ne peut et ne pourra jamais être suppléé. Pour lors, la perte de l’amant est sentie comme la perte de l’amour ; l’Univers n’est plus qu’un homme, et un homme est l’Univers. Le

3o cœur qui n’a rien senti se trouve si étonné de sentir :