Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/86

Cette page n’a pas encore été corrigée

pleins d’ignorance et de préjugés. On n’étoit attentif qu’à faire voir la génération et le progrès de leurs idées. Leurs premières pensées devoient être singulières. Il sembloit qu’on n’avoit rien à faire 5 qu’à leur donner l’espèce de singularité qui peut compatir avec de l’esprit ; il semble qu’on n’avoit eu qu’à peindre les sentiments qu’ils avoient eus à chaque chose qui leur avoit paru extraordinaire. Bien loin qu’on pensât à intéresser quelque principe

10 de la Religion, on ne se soupçonnoit pas même d’imprudence. On fait cette justification par amour pour les grandes vérités, indépendamment du respect pour le Genre humain, que l’on n’a pas certainement voulu frapper dans l’endroit le plus tendre.

i5 On prie de remarquer que ces traits se trouvent toujours liés avec le sentiment de surprise et d’étonnement, jamais avec l’idée d’examen, et encore moins avec celle de critique. En parlant de notre religion, ces Persans ne devoient pas paroître plus

20 instruits que lorsqu’ils parloient des coutumes et des usages ordinaires de la Nation ; et, s’ils trouvent, quelquefois, nos dogmes singuliers, on avouera que cette singularité est marquée, dans les Lettres persanes, à ce coin qu’elle n’est jamais fondée que

25 sur la parfaite ignorance où ils sont de la chaîne qui lie ces dogmes avec nos autres vérités. Tout l’agrément ne consiste que dans le contraste qu’il y a entre des choses réelles et la manière dont elles sont aperçues.

30 De toutes les éditions de ce livre, il n’y a que la première qui soit bonne : elle n’a point éprouvé la