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liberté que nous avons de faire tout ce qui sert à notre conservation, l’état naturel de l’homme est la guerre de tous contre tous. Mais, outre qu’il est faux que la défense entraîne nécessairement la nécessité d’attaquer, il ne faut pas, comme il fait, 5 supposer les hommes comme tombés du Ciel ou sortis tout armés de la Terre, à peu près comme les soldats de Cadmus, pour s’entre-détruire : ce n’est point là l’état des hommes.

Le premier et le seul ne craint personne. Cet to homme seul, qui trouveroit une femme seule aussi, ne lui feroit point la guerre. Tous les autres naîtroient dans une famille, et bientôt dans une société. Il n’y a point là de guerre ; au contraire, l’amour, l’éducation, le respect, la reconnoissance : tout res- i5 pire la paix.

Il n’est pas même vrai que deux hommes tombés des nues dans un pays désert, cherchassent, par la peur, à s’attaquer et à se subjuguer1. Cent circonstances, jointes au naturel particulier de chaque 20 homme, les pourroient faire agir différemment. L’air, le geste, le maintien, la manière particulière de penser, feroient des différences. Premièrement, la crainte les porteroit, non pas à attaquer, mais à fuir. Les marques de crainte respective les feroient bientôt »5 approcher. L’ennui d’être seul et le plaisir que tout animal sent à l’approche d’un animal de même espèce, les porteroient à s’unir, et plus ils seroient misérables, plus ils y seroient déterminés. Jusque-là

1. Mis en grande partie dans l’Esprit des Lois.