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pour mettre l’Univers dans l’état où il est, on ne peut pas concevoir comment Dieu, ayant exercé une fois une pareille puissance, l’auroit perdue depuis, ou comment, l’ayant encore sur l’Univers, il ne l’auroit pas sur nous. S

Dieu a pu surtout nous rendre heureux : car, comme il y a eu des moments où nous avons éprouvé que nous avons été heureux dans cette vie, on ne peut guère concevoir que Dieu ait pu nous rendre heureux une fois, et qu’il ne l’aye pas pu toujours. 10

S’il l’a pu, il l’a voulu : car notre bonheur ne coûte rien au sien. S’il ne l’a pas voulu, il seroit plus imparfait, en cela, que les hommes mêmes.

Cependant, un grand génie m’a promis que je mourrai comme un insecte. Il cherche à me flatter i5 de l’idée que je ne suis qu’une modification de la matière. Il employe un ordre géométrique et des raisonnements qu’on dit être très forts, et que j’ai trouvés très obscurs, pour élever mon âme à la dignité de mon corps, et, au lieu de cet espace 20 immense que mon esprit embrasse, il me donne à ma propre matière et à un espace de quatre ou cinq pieds dans l’Univers.

Selon lui, je ne suis point un être distingué d’un autre être ; il m’enlève tout ce que je me croyois de 25 plus personnel. Je ne sais plus où retrouver ce moi auquel je m’intéressois tant ; je suis plus perdu dans l’étendue qu’une particule d’eau n’est perdue dans la mer. Pourquoi la gloire ? Pourquoi la honte ? Pourquoi cette modification qui n’[en] est point une ? 3° Veut-elle, pour ainsi dire, faire un corps à part dans