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Une armée de cent mille Turcs parut tout-à-coup devant Vienne. On en fut plus étonné que consterné. L’Empereur, retiré à Lintz, demande et trouve partout du secours. Il osa même refuser le nôtre. Sobieski

5 arrive avec, secours d’autant plus agréable

qu’il n’étoit pas suspect, qu’il avoit à peine été demandé, à peine espéré, et qu’il se pouvoit refuser par les raisons de sa défense propre. Nous ne primes donc d’autre part à l’affaire de

10 Vienne que celle pour laquelle il plut aux Impériaux de nous y mettre. Ils firent courir le bruit que nous avions nous-mêmes attiré ce fléau au nom (?) chrétien ; ils prétendirent en avoir trouvé des preuves dans la cassette du Grand-Visir : soit que cela fût

i3 vrai ; soit que cela fût propre à exciter la haine.

Louis ne travailloit qu’à réveiller contre lui la jalousie de l’Europe. Il sembloit avoir formé le projet de l’inquiéter plutôt que de la conquérir. Le génie d’un grand politique cherche à établir la puis-,

20 sance avant de la faire sentir ; le génie de Louis étoit de la faire sentir avant de l’avoir établie.

Il sembloit n’avoir de puissance que pour l’ostentation : tout étoit fanfaron, jusqu’à sa politique ; et, si l’on veut lire les lettres du comte d’Estrades au

a3 cardinal Mazarin et, ensuite, au Roi, on verra que l’esprit fanfaron avoit gagné autant de terrain sur le Roi qu’il en avoit peu sur le Cardinal.

11 avoit une ambition si fausse qu’il se ruinoit à prendre des places qu’il savoit qu’il seroit obligé de

3o rendre : il ambitionnoit un certain genre d’héroïsme