Page:Montesquieu - Pensées et Fragments inédits, t1, 1899.djvu/322

Cette page n’a pas encore été corrigée

est parée de mille couleurs ; nos oreilles sont flattées par les sons ; les mets ont des goûts agréables ; et, comme si ce n’étoit pas assez du bonheur de l’existence, il faut encore que notre machine ait besoin 5 d’être réparée sans cesse pour nos plaisirs.

Notre âme, qui a la faculté de recevoir par les organes des sentiments agréables ou douloureux, a l’industrie de se procurer les uns et d’en écarter les autres. Et, en cela, l’art supplée sans cesse à la

10 Nature. Ainsi nous corrigeons sans cesse les objets extérieurs : nous en ôtons ce qui nous pourroit nuire, et y ajoutons ce qui peut les rendre agréables.

Il y a plus. C’est que les peines des sens nous ramènent nécessairement aux plaisirs. Je vous défie

i5 de faire jeûner un anachorète sans donner, en même temps, un nouveau goût à ses légumes. Il n’y a même que les peines vives qui puissent nous blesser. Les peines modérées sont très près des plaisirs, et, au moins, elles ne nous ôtent point celui d’exister.

20 Quant aux peines de l’esprit, elles ne sauroient être comparées avec les satisfactions que notre orgueil perpétuel nous donne, et il y a très peu de quarts d’heure où nous ne soyons, à quelque égard, contents de nous. L’orgueil est un miroir toujours

î5 favorable : il diminue nos défauts, augmente nos vertus ; c’est un nouveau sens de l’âme, qui lui donne à tous les instants des satisfactions nouvelles. Les passions agréables nous servent bien plus exactement que les tristes. Si nous craignons des choses

3o qui n’arriveront pas, nous en espérons un bien plus grand nombre qui n’arriveront pas. Aussi ce sont