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MONTESQUIEU

Non ! À la honte des hommes de ce siècle, personne ne parla pour la vérité. On laissa jouir cet empereur de ce bonheur et de cette piété criminels. Que pouvait on faire davantage pour favoriser le crime que de lui épargner la honte et les remords mêmes ?

« Les richesses et les dignités, disait Platon[1], n’engendrent rien de plus corrompu que la flatterie. » On peut la comparer à ces rochers cachés entre deux eaux, qui font faire tant de naufrages. « Un flatteur, selon Homère, est aussi redoutable que les portes de l’Enfer. » — « C’est la flatterie, est-il dit dans Euripide[2], qui détruit les villes les mieux peuplées et fait tant de déserts. »

Heureux le prince qui vit parmi des gens sincères qui s’intéressent à sa réputation et à sa vertu. Mais que celui qui vit parmi des flatteurs est malheureux de passer ainsi sa vie au milieu de ses ennemis !

Oui ! Au milieu de ses ennemis ! Et nous devons regarder comme tels tous ceux qui ne nous parlent point à cœur ouvert ; qui, comme ce Janus de la fable, se montrent toujours à nous avec deux visages ; qui nous font vivre dans une nuit éternelle, et nous couvrent d’un nuage épais pour nous empêcher de voir la vérité qui se présente.

Détestons la flatterie ! Que la Sincérité règne à sa place ! Faisons-la descendre du Ciel, si elle a quitté la Terre. Elle sera notre vertu tutélaire. Elle ramènera l’âge d’or et le siècle de l’innocence,

  1. In Epistola ad Dionysium.
  2. In Hippolyto.