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ÉLOGE DE LA SINCÉRITÉ

peut justement nommer le Néron de la Chine, fit attacher en un jour, à une colonne d’airain enflammée, vingt-deux mandarins, qui s’étaient succédé les uns les autres à ce dangereux emploi de Kotaou. Le tyran, fatigué de se voir toujours reprocher de nouveaux crimes, céda à des gens qui renaissaient sans cesse. Il fut étonné de la fermeté de ces âmes généreuses et de l’impuissance des supplices, et la cruauté eut enfin des bornes, parce que la vertu n’en eut point.

Dans une épreuve si forte et si périlleuse, on ne balança pas un moment entre se taire et mourir ; les lois trouvèrent toujours des bouches qui parlèrent pour elles ; la vertu ne fut point ébranlée, la vérité, trahie, la constance, lassée ; le Ciel fit plus de prodiges que la Terre ne fit de crimes, et le tyran fut enfin livré aux remords.

Voulez-vous voir, d’un autre côté, un détestable effet d’une lâche et basse complaisance ? comme elle empoisonne le cœur des princes ? et ne leur laisse plus distinguer les vertus d’avec les vices ? Vous le trouverez dans Lampridius, qui dit que Commode, ayant désigné consul l’adultère de sa mère, reçut le titre de pieux et qu’après avoir fait mourir Perennis, il fut surnommé heureux : Cum adulterum matris consulem, designasset, Commodus vocatus est pius ; cum occidisset Perennem, vocatus est felix.

Quoi ! Ne se trouvera-t-il personne qui renverse ces titres fastueux, qui apprenne à cet empereur qu’il est un monstre, et rende à la vertu des titres usurpés par le vice ?