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MONTESQUIEU

un amour pour la vertu, une haine pour le vice, un mépris pour ceux qui s’y abandonnent. D’une tige si noble et si belle, il ne peut naître que des rameaux d’or[1].

Et si, dans la vie privée — où les vertus languissantes se sentent de la médiocrité des conditions ; où elles sont ordinairement sans force, parce qu’elles sont presque toujours sans action ; où, faute d’être pratiquées, elles s’éteignent comme un feu qui manque de nourriture — si, dis-je, dans la vie privée, la sincérité produit de pareils effets, que sera-ce dans la cour des grands ?

SECONDE PARTIE

DE LA SINCÉRITÉ PAR RAPPORT AUX COMMERCES DES GRANDS

Ceux qui ont le cœur corrompu méprisent les hommes sincères, parce qu’ils parviennent rarement aux honneurs et aux dignités ; comme s’il y avait un plus bel emploi que celui de dire la vérité ; comme si ce qui fait faire un bon usage des dignités n’était pas au-dessus des dignités mêmes.

En effet, la sincérité même n’a jamais tant d’éclat que lorsqu’on la porte à la cour des princes, le centre des honneurs et de la gloire. On peut dire que c’est la couronne d’Ariane, qui est placée dans le ciel[2].

  1. Areus arbore ramus.
    Virgile, Énéide, liv. vi.

  2. Sumptam de fronte coronam.
    Immisit cœlo…
    Ovide, Métamorphose.