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ÉLOGE DE LA SINCÉRITÉ

vues que Dieu a eues sur eux et sur nous. Ils lui résistent dans ses desseins et le combattent dans sa providence. Ils font comme le mauvais principe des Mages, qui répandent les ténèbres dans le monde, au lieu de la lumière, que le bon principe y avait créée.

On s’imagine ordinairement que ce n’est que dans la jeunesse que les hommes ont besoin d’éducation ; vous diriez qu’ils sortent tous des mains de leurs maîtres, ou parfaits, ou incorrigibles.

Ainsi, comme si l’on avait d’eux trop bonne ou trop mauvaise opinion, on néglige également d’être sincère et on croit qu’il y aurait de l’inhumanité de les tourmenter, ou sur des défauts qu’ils n’ont pas, ou sur des défauts qu’ils auront toujours.

Mais, par bonheur ou par malheur, les hommes ne sont ni si bons ni si mauvais qu’on les fait, et, s’il y en a fort peu de vertueux, il n’y en a aucun qui ne puisse le devenir.

Il n’y a personne qui, s’il était averti de ses défauts, pût soutenir une contradiction éternelle ; il deviendrait vertueux, quand ce ne serait que par lassitude.

On serait porté à faire le bien, non seulement par cette satisfaction intérieure de la conscience qui soutient les sages, mais même par la crainte des mépris qui les exerce.

Le vice serait réduit à cette triste et déplorable condition où gémit la vertu, et il faudrait avoir autant de force et de courage pour être méchant, qu’il en faut, dans ce siècle corrompu, pour être homme de bien.