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MONTESQUIEU

quelques esprits faux[1], qui la poussèrent trop loin, n’avoient pas outré la raison même, et, par un raffinement de liberté, n’avoient choqué toutes les bienséances.

Dans le dessein que j’ai entrepris, je ne puis m’empêcher de faire une espèce de retour sur moi-même. Je sens une satisfaction secrète d’être obligé de faire l’éloge d’une vertu que je chéris, de trouver, dans mon propre cœur, de quoi suppléer à l’insuffisance de mon esprit, d’être le peintre, après avoir travaillé toute ma vie à être le portrait, et de parler enfin d’une vertu, qui fait l’honnête homme dans la vie privée et le héros dans le commerce des grands.


PREMIÈRE PARTIE

DE LA SINCÉRITÉ PAR RAPPORT A LA VIE PRIVÉE

Les hommes, vivants dans la société, n’ont point eu cet avantage sur les bêtes pour se procurer les moyens de vivre plus délicieusement. Dieu a voulu qu’ils vécussent en commun pour se servir de guides les uns aux autres, pour qu’ils pussent voir par les yeux d’autrui ce que leur amour-propre leur cache, et qu’enfin, par un commerce sacré de confiance, ils pussent se dire et se rendre la vérité.

Les hommes se la doivent donc tous mutuellement. Ceux qui négligent de nous la dire nous ravissent un bien qui nous appartient. Ils rendent vaines les

  1. Les Cyniques.