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MONTESQUIEU

son autorité et son exemple, il détermina l’Univers encore incertain s’il devoit regarder Brutus comme un parricide ou comme le libérateur de la patrie.

Mais les libéralités que César avoit faites aux Romains par son testament furent pour eux de nouvelles chaînes. Antoine harangua ce peuple avare, et, lui montrant la robe sanglante de César, il l’émut si fort qu’il alla mettre le feu aux maisons des conjurés. Brutus et Cassius, contraints d’abandonner leur ingrate patrie, n’eurent que ce moyen pour se dérober aux insultes d’une populace aussi furieuse, qu’aveugle.

Antoine, devenu plus hardi, usurpa dans Rome plus d’autorité que n’ayoit fait César même. Il s’empara des deniers publics, vendit les provinces et les magistratures, fit la guerre aux colonies romaines, viola enfin toutes les loix. Fier du succès de son éloquence, il ne redouta plus celle de Cicéron, il déclama contre lui en plein Sénat ; mais il fut bien étonné de trouver encore dans Rome un Romain.

Bientôt après. Octave fit cet infâme traité dans lequel Antoine, pour prix de son amitié, exigea la tête de Cicéron. Jamais guerre ne fut plus funeste à la République que cette indigne réconciliation, où l’on n’immola pour victimes que ceux qui l’avoient si glorieusement défendue.

Le détestable Popilius est justifié ainsi, dans Sénèque, de la mort de Cicéron : que ce crime si odieux étoit le crime d’Antoine, qui l’avoit commandé,