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DISCOURS SUR CICÉRON

soumit à lui avec tout l’Univers ; il ne fît point une résistance inutile ; il ne fit point comme Caton, qui abandonna lâchement la République avec la vie ; il se réserva pour des temps plus heureux, et il chercha dans la philosophie des consolations que les autres n’avoient trouvées que dans la mort.

Il se retira à Tusculum pour y chercher la liberté, que sa patrie avoit perdue. Ces champs ne furent jamais si glorieusement fertiles ; nous leur devons ces beaux ouvrages qui seront admirés par toutes les sectes et dans toutes les révolutions de la philosophie.

Mais, lorsque les conjurés eurent commis cette grande action qui étonne encore aujourd’hui les tyrans, Cicéron sortit comme du tombeau, et ce soleil, que l’astre de Jules[1] avoit éclipsé, reprit une nouvelle lumière. Brutus, tout couvert de sang et de gloire, montrant au peuple le poignard et la liberté, s’écria : « Cicéron ! » Et, soit qu’il l’appelât à son secours, soit qu’il voulût[2] le féliciter de la liberté qu’il venoit de lui rendre, soit enfin que ce nouveau libérateur de la patrie se déclarât son rival, il fit de lui dans un seul mot le plus magnifique éloge qu’un mortel ait jamais reçu.

Cicéron se joignit aussitôt à Brutus ; les périls ne l’étonnèrent point. César vivoit encore dans le cœur de ses soldats ; Antoine, qui étoit l’héritier de son ambition, tenoit dans ses mains l’autorité consulaire. Tout cela ne l’empêcha point de se déclarer, et, par

  1. Julium Sidus.
  2. Seconde Philippique.