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DISCOURS SUR CICÉRON

certaine ? c’étoit faire un généreux sacrifice de sa. vie en faveur de sa gloire offensée ? Admirons donc le courage et la hardiesse de Torateur encore plus que son éloquence. Considérons Antoine, le plus puissant d’entre les hommes, Antoine, le maître du monde, Antoine, qui osoit tout et qui pouvoit tout ce qu’il osoit, dans un Sénat qui étoit entouré de ses soldats, et où il étoit plutôt roi que consul ; considérons le, dis-je, couvert de confusion et d’ignominie, foudroyé, anéanti, obligé d’entendre ce qu’il y a de plus humiliant de la bouche d’un homme à qui il auroit pu ôter mille vies.

Aussi, ce ne fut pas seulement à la tête d’une armée qu’il eut besoin de sa fermeté et de son courage ; les traverses qu’il eut à souffrir, dans des temps si difficiles pour les gens de bien, lui rendirent la mort toujours présente. Tous les ennemis de la-République furent les siens ; les Verres, les Clodius, les Catilinas, les Césars, les Antoines, enfin tous les scélérats de Rome lui déclarèrent la guerre.

Il est vrai qu’il y eut des occasions où la force de son esprit sembla l’abandonner : lorsqu’il vit Rome déchirée par tant de factions, il se livra à la douleur, il se laissa abattre, et sa philosophie fut moins forte que son amour pour la République.

Dans cette fameuse guerre qui décida de la destinée de l’Univers, il trembloit pour sa patrie ; il voyoit César approcher avec une armée qui avoit gagné plus de batailles qu’elle n’avoit de légions. Mais quelle fut sa douleur lorsqu’il vit que Pompée abandonnoit l’Italie et laissoit Rome exposée à la