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MONTESQUIEU

Ses mœurs étoient plus austères que son esprit. Il se comporta dans son gouvernement de Cilicie avec le désintéressement des Cincinnatus, des Camilles, des Catons. Mais sa vertu, qui n’avoit rien de farouche, ne l’empêchoit point de jouir de la politesse de son siècle. On remarque, dans ses ouvrages de morale, un air de gaieté et un certain contentement d’esprit que les philosophes médiocres ne connoissent point. Il ne donne point de préceptes ; mais il les fait sentir. Il n’excite pas à la vertu ; mais il y pour toujours de Sénèque et de ses semblables, gens plus malades que ceux qu’ils veulent guérir, plus désespérés que ceux qu’ils consolent, plus tyrannisés des passions que ceux qu’ils en veulent affranchir.

Quelques personnes, accoutumées à mesurer tous les héros sur celui de Quinte Curce, se sont fait de Cicéron une idée bien fausse ; ils l’ont regardé, comme un homme foible et timide, et lui ont fait un reproche qu’Antoine, son plus grand ennemi, ne lui a jamais fait. Il évitoit le péril, parce qu’il le connoissoit ; mais il ne le connoissoit plus, lorsqu’il ne pouvoit plus l’éviter. Ce grand homme subordonna toujours toutes ses passions, sa crainte et son courage, à la sagesse et à la raison. J’ose même le dire : il n’y a peut-être point d’homme, chez les Romains, qui ait donné de plus grands exemples de force et de courage.

N’est-il pas vrai que déclamer la Seconde Philippique devant Antoine, c’étoit courir à une mort