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MONTESQUIEU

des Brutus, des Cassius, des Catons ! Quel feu, quelle vivacité, quelle rapidité, quel torrent d’éloquence ! Pour moi, je ne sais à qui j’aimerois mieux ressembler, ou au héros, ou au panégyriste.

S’il relève quelquefois ses talents avec trop de faste, il ne fait que m’exprimer ce qu’il m’avoit déjà fait sentir ; il me prévient sur des louanges qui lui sont dues. Je ne suis point fâché d’être averti que ce n’est pas un simple orateur qui parle, mais le libérateur de la patrie et le défenseur de la liberté.

Il ne mérite pas moins le titre de philosophe que d’orateur romain. On peut dire même qu’il s’est plus signalé dans le Lycée que sur la tribune : il est original dans ses livres de philosophie, mais il a eu plusieurs rivaux de son éloquence.

Il est le premier, chez les Romains, qui ait tiré la philosophie des mains des savants, et l’ait dégagée des embarras d’une langue étrangère. Il la rendit commune à tous les hommes, comme la raison, et, dans les applaudissements qu’il en reçut, les gens de lettres se trouvèrent d’accord avec le peuple. Je ne puis assez admirer la profondeur de ses raisonnements dans un temps où les sages ne se distinguoient que par la bizarrerie de leur vêtement. Je voudrois seulement qu’il fût venu dans un siècle plus éclairé, et qu’il eût pu employer à découvrir des vérités ces heureux talents, qui ne lui ont servi qu’à détruire des erreurs. Il faut avouer qu’il laissa un vide affreux dans la philosophie : il détruisit tout ce qui avoit été imaginé jusqu’alors ; il fallut recommencer, et imaginer de nouveau ; le genre humain