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MONTESQUIEU

Il me paroît que ceux qui crient tant contre la culture des vignes, en faveur de celle des terres, n’ont pas une idée juste de la chose.

Quand on arracheroit aujourd’hui tous les vignobles du royaume, pour en faire des terres labourables, je dis qu’on ne gagneroit pas par là de quoi nourrir un homme de plus ; et, si l’Angleterre et le Nord avoient. assez de vignobles pour fournir aux besoins de leurs habitants, je dis encore que ces pays ne nourriroient pas un homme de moins.

Voici comment.

Quand une nation n’a point de vin, elle fait usage de quelque autre liqueur, et c’est la bière qu’elle choisit, comme plus propre à suppléer au vin. Mais, pour faire cette bière, il lui faut des grains. Il est donc nécessaire qu’une partie de ses terres labourables soit employée pour la boisson de ses habitants.

Pour faire un demi-muid de bonne bière, il faut à peu près un septier d’orge. Mais une terre qui donne, en nature de vigne, un demi-muid de vin ne peut guère fournir qu’un septier d’orge, en terre labourable. Il n’y a donc point d’épargne à n’avoir point de vignes.

Toutes choses égales, la consommation de la bière va plus vite que celle du vin, soit parce que la bière se boit avec moins de précaution, soit parce qu’elle est toujours à meilleur marché. La culture des terres étant moins chère que celle des vignes, il faut donc qu’un état employé plus de ses terres pour faire boire de la bière à ses habitants que pour leur donner du vin.