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LETTRES DE XÉNOCRATE

offensé et ceux qui craignoient de le voir impunément offenser.

Alcamène aime à pardonner : vous diriez qu’il trouve la paix dans l’âme de ses ennemis. La clémence lui est si naturelle qu’il croit presque que c’est toujours à lui à la ressentir et aux autres à la recevoir. Il ne sauroit se venger : si la vengeance est difficile, il n’en a pas le désir, et, sitôt qu’elle est aisée, il dit qu’il n’en a pas le courage : en effet, dans la vengeance, il se sentoit gêné. C’est pour lors qu’il se plaignoit de sa puissance.

Avec ce sublime esprit, qui fait les grandes vertus et les grands crimes, Alcamène pourroit être un homme funeste, si le cœur ne réparoit en lui le défaut des principes. Mais ce cœur le domine tellement qu’il ne sait ni refuser, ni punir : tombant rarement dans des inconvénients en faisant le mal, il s’y jette sans cesse en faisant le bien.

Il a plutôt l’inquiétude agissante de l’ambition qu’il n’en a les vastes désirs.

Laissant les hommes en paix, mais tourmentant sans cesse leurs fortunes, comme les autres ruinent par des caprices, il ruine par des épreuves et des intentions d’enrichir. On est irrité contre lui, et il est impossible de le haïr.

Alcamène est très capable défaire des fautes. Personne ne les voit plus vite et ne les corrige mieux. Il n’emploie point ses lumières à se justifier, mais à mieux faire ; et, après s’être écarté de la raison, il y rentre souvent si bien que ces fautes se trouvent heureuses, et qu’on voit périr le mal et renaître le bien.