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MONTESQUIEU

il fit pendre les Seize, à cause de leurs excès, et, par là, il acheva de détruire l’esprit qui agitoit son parti. Cromwel tua bien de sa propre main quelques-uns des siens qui n’obéissoient pas ; mais il n’eut garde de les punir de leur fureur contre le parti opposé. Il se servit quelquefois de moyens violents pour faire passer ses gens d’une extravagance à une autre ; mais le duc de Mayenne les employa pour donner à son parti de la modération, c’est-à-dire pour le faire périr.

Quoiqu’on ne puisse guère trouver des âmes plus différentes que celle de Cromwel et celle de César, cependant on ne peut pas dire que l’Anglois ait été inférieur au Romain par le génie.

Les grands hommes vont à leur but par une route ; Cromwel y alla par tous les chemins. On peut, avec de la pénétration, découvrir la chaîne des desseins des autres ; cela fut impossible avec celui-ci. Il alla de contradiction en contradiction ; mais il alla toujours, tel que ces pilotes que presque tous les vents conduisent au port. Il gouverna les Anglois comme si lui seul avoit eu une âme. Il n’eut aucun confident : tout le monde fut sa dupe ; et tel fut le succès de ses desseins que ses complices mêmes en furent épouvantés.

Le dernier crime qui le porta, semblable à ceux que vantent les fables, parut d’abord faire horreur à la Nature entière. Mais lui prit de sang-froid le gouvernement, jeta partout l’épouvante, fit succéder le respect à la haine et força les rois les plus superbes à couronner l’injure et à devenir ses alliés.