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MONTESQUIEU

Philippe ne connut jamais d’autres liens que ceux de l’empire et de l’obéissance. Toujours roi et jamais homme, toujours sur le trône ou dans le cabinet, sa dissimulation, qu’il ne sut pas cacher[1], lui fut peu utile ; mais son inflexibilité lui fut nuisible. Car, comme elle ne lui permit point les tempéraments, il porta le même esprit dans tous les événements de sa vie et ne se plia jamais aux événements.

A force de rigueur, il rendit les fautes éternelles. Toujours dans l’excès de la justice, il ne laissa jamais expier le crime. Il cherchoit la punition comme les autres cherchent le repentir : jamais touché par les larmes, fléchi par les prières, intimidé par le désespoir.

Il avoit de la lenteur, et non pas de la prudence ; le masque de la politique, et non pas la science des événements ; l’apparence de la sagesse même, avec un esprit faux, qui infecta tous ses conseils.

Le dessein de porter l’Inquisition dans les Pays-Bas[2], celui d’y établir le gouvernement espagnol, font voir qu’il ne connoissoit ni les Flamands, ni les peuples libres, ni même les hommes. Des provinces si éloignées, si étrangères à l’Espagne, et qui pouvoient se donner tant de maîtres, ne pouvoient être gardées que par la force des loix.

Il fit de grandes entreprises, mais il ne sut jamais se mettre dans une situation propre à les faire réussir. Il regarda de son cabinet l’Europe, ses

  1. [Entre les lignes : ]… dissimuler.
  2. Nota : Charles-Quint en avoit établi une espèce.