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MONTESQUIEU

Ces choses-là ne m’imposent point. Je sais que le grand-vizir a, lui seul, le gouvernement politique, civil et militaire d’un empire de douze cents lieues de pays, et qu’il a du temps de reste.

J’ai vu des gens passer pour de grands hommes[1] parce qu’ils avoient su dire à un jeune homme de la Cour le lieu où il avoit soupe la veille, et il n’y a personne qui ne l’eût su, tout comme eux, s’il avoit pu par là se faire valoir. Il ne falloit pour cela qu’un laquais gris.

Nous avons vu de nos jours un autre ministre[2], qui n’avoit jamais un seul papier sur son bureau, et qui n’en lisoit jamais aucun. S’il avoit réussi dans ses principaux projets, on l’auroit regardé comme une intelligence qui gouvernoit un état à la manière des esprits.

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Quant au mérite que les ministres croient avoir du secret en matière d’affaires d’état, comment pourroient-ils le violer ? Ils ne peuvent parler sans faire voir une sottise insigne. Qui auroit la sottise de les interroger ? Comment auroient-ils celle de répondre ? La vanité leur donne un air de mystère qui conserve leur secret.

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  1. Le Blanc.
  2. Law.