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DE LA POLITIQUE

grossière. Mais on vouloit du bruit et être un grand ministre à quelque prix que ce fût.

Lisez les lettres du cardinal Mazarin au sujet de ses négociations avec don Louis de Haro, et vous verrez un grand charlatan. Vous diriez que don Louis n’avoit pas le sens commun, et que le Cardinal négocioit avec un singe.

On dit que M. de Louvois, voulant faire une expédition en Flandres, envoya un paquet à l’intendant, avec défense de l’ouvrir que quand il en recevroit les ordres. Il s’agissoit de faire marcher des troupes dispersées de tous côtés, et ce paquet renfermoit des ordres pour tous les gens subordonnés à l’intendant pour l’exécution de ce projet, afin que l’intendant n’eût qu’à signer, et que les commis ne révélassent point son secret. Cela est pitoyable. Ce paquet, qui resta pendant quinze jours dans des mains étrangères, n’exposoit-il pas son secret ? Que servoit-il là, qu’à irriter la curiosité ? D’ailleurs, les secrétaires du ministre ne pouvoient-ils pas être infidèles comme ceux de l’intendant ? Le temps de deux heures, qu’il falloit pour écrire les ordres, étoit-il suffisant à ces secrétaires pour révéler le secret d’une expédition ? Il y a souvent plus de petitesse d’esprit à affecter des précautions inutiles qu’à n’en prendre pas assez.

J’ai ouï des gens vanter un ministre[1] qui avoit la vanité d’aimer mieux dicter tout de travers à trois secrétaires que de dicter bien à un.

Le même ministre étoit si affairé qu’il donnoit audience à une, à deux, à trois heures après minuit.

  1. D’Argenson.