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MONTESQUIEU

Allemagne, fait venir un Allemand à Paris, envoie les deux millions chez un homme à lui, avec ordre de les donner sans reçu à un homme sans nom, habillé et fait d’une telle manière. Comment ne voit-on pas là-dedans une affectation ridicule ? Qu’y avoit-il de plus. simple que d’envoyer de bonnes lettres de change, sans embarrasser cet Allemand d’une si grosse somme, qui pouvoit l’exposer infiniment ; ou, s’il vouloit les donner à Paris, que ne les donnoit-il pas lui-même ?

Ce ministre, qui achetoit des comédies pour passer pour bon poète, et qui cherchoit à escroquer[1] toute sorte de mérite, se tourmentoit sans cesse pour surprendre une nouvelle estime.

Voici une autre fanfaronnade !

Un homme en qui il avoit confiance étant resté dans son cabinet pendant qu’il en sortit pour accompagner quelqu’un, le Cardinal se ressouvint qu’il pouvoit avoir lu des papiers d’importance qui étoient sur sa table. Il fit, sur-le-champ, une lettre qu’il lui donna à porter au gouverneur de La Bastille, par laquelle le gouverneur avoit ordre de le retenir un mois, temps auquel le secret devoit expirer : ce qui fut fait, et, le mois passé, le prisonnier sortit avec une grande récompense. Pure fanfaronnade, préparée et ménagée à loisir, et même sans beaucoup de jugement. Premièrement, on ne reçoit point plusieurs personnes dans un cabinet où il y a des papiers de cette importance. Les gens prudents écrivent des lettres de cette nature en chiffre. Enfin, il y avoit mille moyens moins fastueux pour réparer cette faute

  1. [Entre les lignes : ]…vouloit se donner.