Page:Montesquieu - Mélanges inédits, 1892.djvu/229

Cette page n’a pas encore été corrigée
163
DE LA POLITIQUE

à leur imagination pour prévoir tous les cas qui pourront arriver. Ils croient qu’en mettant article sur article ils préviendront toutes les disputes et toutes les froideurs ; ce qui est très ridicule : car, plus vous multipliez les conventions, plus vous multipliez[1] les sujets de dispute.

Vous prévoyez une chose qui pourra arriver et n’arrivera pas. Sur cette idée, vous mettez une clause à votre traité. Une partie voudra y renoncer ; l’autre partie ne le voudra pas, parce qu’elle veut profiter de l’avantage qu’elle y trouve. Une circonstance pareille fut la cause de la froideur qui régna entre la France et la Suède au commencement du règne de Louis XIV.

On voit aussi que ces politiques qui ont la maladie de vouloir toujours négocier ne sont point habiles, quoiqu’ils aient fait traités sur traités ; car, comme les conditions sont réciproques, un traité inutile est toujours onéreux.

Il est très facile à ceux qui se sont fait une réputation dans les affaires d’en imposer au peuple. Comme on s’imagine que leur tête ne doit être remplie que de traités, de délibérations et de projets, on leur tient compte de toutes les actions communes. « Quoi ! dit-on, cet homme a toute sa quadruple alliance dans la tête, et il badine, et il joue comme moi ! Oh ! la belle chose ! »

J’ai ouï souvent vanter[2] l’action du cardinal de Richelieu qui, voulant faire toucher deux millions en

  1. [Entre les lignes : ]…plus il y a.
  2. Voyez l’Art de Régner du P. Lemoyns.