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MONTESQUIEU

peut aussi bien conduire au but du gouvernement qu’une conduite plus détournée.

Rarement les grands politiques connoissent-ils les hommes. Comme ils ont des vues fines et adroites, ils croient que tous les autres hommes les ont de même. Mais il s’en faut bien que tous les hommes soient fins : ils agissent, au contraire, presque toujours, par caprice ou par passion, ou agissent simplement pour agir et pour qu’on ne dise point qu’ils n’agissent pas.

Les grands politiques ont une chose, c’est que leur réputation leur fait tort. On est dégoûté de traiter avec eux, par la raison seule qu’ils excellent dans leur art. Ainsi ils se trouvent privés de toutes les conventions qu’une probité réciproque peut engager de faire.

Dans les négociations que la France fit faire, après la minorité de Louis XIV, pour porter quelques princes à se déclarer contre l’Empereur, en cas qu’il violât le traité de Westphalie, nos ambassadeurs eurent ordre de traiter par préférence avec les ducs de Brunswick, et de leur accorder plus d’avantages qu’à d’autres, à cause de la réputation qu’ils avoient d’une grande probité.

Un fourbe a cela de bon qu’il fait sans cesse l’éloge de la franchise ; car il veut qu’avec lui, fripon, tous les autres soient honnêtes gens.

D’ailleurs, les grands politiques voient trop de choses, et souvent il vaudroit mieux n’en pas voir assez que d’en voir trop. Dans les traités qu’ils font, ils multiplient trop les clauses, ils donnent la torture