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MONTESQUIEU

des fautes que des gens plus médiocres n’auroient pas commises. Je vois, enfin, ce dernier manquer de la même manière, malgré tant de conjonctures favorables, la destruction de la monarchie françoise.

Louis XIV n’a-t-il pas autant fatigué l’Europe que tous les grands politiques dont on parle tant ?

La prudence humaine se réduit à bien peu de chose. Dans la plupart des occasions, il est inutile de délibérer, parce que, quelque parti que l’on prenne, dans les cas où les grands inconvénients ne se présentent pas d’abord à l’esprit, ils sont tous bons.

Rappelons-nous ce que nous avons vu dans la minorité d’un grand prince[1] de l’Europe. On peut dire qu’il n’y eut jamais de gouvernement plus singulier, et que l’extraordinaire y a régné depuis le premier jour jusqu’au dernier ; que quelqu’un qui auroit fait le contraire de ce qui a été fait, qui, au lieu de chaque résolution prise, auroit pris la résolution contraire, n’auroit pas laissé de finir sa régence aussi heureusement que celle-là a fini ; que si, tour à tour, cinquante autres princes avoient pris le gouvernement et s’étoient conduits chacun à leur mode, ils auroient de même fini cette régence heureusement ; et que les esprits, les choses, les situations, les intérêts respectifs étoient dans un tel état, que cet effet en devoit résulter, quelque cause, quelque puissance qui agît.

Dans toutes les sociétés, qui ne sont qu’une union d’esprit, il se forme un caractère commun. Cette âme universelle prend une manière de penser qui

  1. [Entre les lignes : ]… un certain gouvernement.