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MONTESQUIEU

trouver le même cerveau lorsque l’habit est blanc et noir. Mais ce sera bien autre chose, si l’habit est tout noir.

Toutes nos idées se lient entre elles, et se lient à nous. Si l’on savoit par combien de côtés un sentiment tient dans le cerveau d’un homme, on ne seroit plus étonné de son opiniâtreté à le défendre.

Pourquoi tous les auteurs sont-ils si enchantés de leurs écrits ? C’est parce qu’ils sont vains, dira-t-on. J’en conviens. Mais pourquoi cette vanité se trompe-t-elle toujours également ? Le voici : c’est que ce que nous avons mis dans nos ouvrages tient à toutes nos autres idées et se rapporte à des choses qui nous ont plû, puisque nous les avons apprises. Nos chefs-d’œuvre nous charment moins après un certain temps, parce que, par les changements qui sont arrivés dans notre cerveau, ils ne sont plus tant liés à notre manière de penser.

Les différentes professions peuvent beaucoup affecter notre esprit. Par exemple, un homme qui enseigne peut devenir aisément opiniâtre, parce qu’il fait le métier d’un homme qui n’a jamais tort. Un philosophe peut facilement perdre les agréments de son esprit, parce qu’il s’accoutume à voir et à juger de tout avec beaucoup de précision et d’exactitude. Un homme à bonnes fortunes peut devenir très sottement glorieux, parce qu’il fait beaucoup de cas dû goût des femmes : ce goût, cependant, prouve leur foiblesse, et non pas son mérite, un consentement de machine, et non pas un jugement de l’esprit. Les gens de robe peuvent devenir extrêmement