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ESSAI SUR LES CAUSES

a reçu l’impression de celles qu’ils ont gravées, et comme ceux qui ont été frappés de l’idée d’un fantôme en sont encore troublés, parce que le même mouvement se refait dans le cerveau, on peut dire de même que des gens qui ont accoutumé leur esprit à voir les rapports des nombres ou des figures de géométrie voient et trouvent partout des rapports, mesurent et calculent tout ; que celui qui s’est fait au style problématique accoutume son esprit à recevoir toujours deux impressions également fortes à la fois ; qu’un autre, qui s’est toujours donné un ton décisif, s’est formé à recevoir la première idée qui lui vient ; que celui qui s’est familiarisé avec les termes de l’École ne sent d’abord réveiller en lui aucune idée, mais, à force de les répéter, il parvient à y attacher peu à peu une idée confuse ; et qu’enfin un homme qui s’est longtemps dit ou à qui l’on a longtemps dit que les conceptions métaphysiques étoient solides, et non les principes de physique, que les histoires grecques sont vraies, et non pas les modernes, en sera à la fin convaincu. Nous nous faisons l’esprit qui nous plaît, et nous en sommes les vrais artisans.

Ce n’est pas l’esprit qui fait les opinions, c’est le cœur ; et, de cela, les ordres religieux sont une grande preuve. Chacun a sa philosophie particulière, qui est embrassée dans toute son étendue par tous les membres de l’ordre. Si vous voyez l’habit d’un homme, vous voyez jusques à son âme ; Si cet habit est gris, comptez que l’homme qui le porte a bien des entités dans la tête. Ne vous imaginez pas