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MONTESQUIEU

Les voyages donnent aussi une très grande étendue à l’esprit : on sort du cercle des préjugés de son pays, et l’on n’est guère propre à se charger de ceux des étrangers.

De certaines circonstances heureuses, lorsque nous entrons dans le monde, nous donnent une hardiesse utile pour tout le reste de la vie. La réputation a deux bons effets : elle accrédite, et elle encourage. Mais rabattement qui suit le mépris suspend toutes les fonctions de l’âme.

Le peuple prétend avoir remarqué que les bossus ont ordinairement de l’esprit. On pourroit dire que, si les gens contrefaits n’ont pas les grâces du corps, ils n’ont pas aussi la fadeur et la sottise de ceux qui se croient aimables ; leur esprit est donc moins aisé à gâter. D’ailleurs, la bonne opinion que l’on prend de son esprit est encore moins ridicule que celle que l’on conçoit de soi sur sa figure. Enfin, on les destine ordinairement à un état qui ne leur laisse guère d’autres soins que de cultiver leur esprit et augmenter leurs talents.

C’est encore une observation populaire, et où il peut y avoir du vrai, que la plupart des gens contrefaits ont l’esprit malin. La raison en est assez naturelle : ayant un défaut qu’ils savent que tout le monde voit, ils ont, à tous les instants, de petites insultes à venger, et, quand ils ont de l’esprit, ils sentent leur force et s’en servent sans quartier.

De certaines habitudes peuvent affecter notre esprit. Comme les graveurs voient sur les murailles des figures qui n’y sont point, parce que leur cerveau