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XIII
HISTOIRE DES MANUSCRITS


m’honore, et me fait regretter plus que jamais que ma mauvaise fortune m’exile encore quelques années des lieux que vous habitez. Il eût été délicieux pour moi de parcourir avec vous, jusqu’aux productions les plus informes de ce grand génie, qui vous a donné le jour. J’aurois cru être avec lui, l’entendre parler, et j’aime tout ce qui le rappelle à mon imagination. Mais ce plaisir même m’eût inspiré beaucoup de méfiance de mes jugements : tout ce qui intéresse des amis n’intéresse pas également le public, toujours très sévère sur ce qu’on lui présente d’un homme célèbre, parce qu’il le juge d’après lui-même, d’après le point de perfection où il a porté ses premiers ouvrages. J’en ai vu un exemple frappant dans l’effet qu’a produit à Paris et à Londres le recueil de quelques lettres de M. de Montesquieu, publiépar l’abbé de Guasco. Quoiqu’on n’ait pu douter que celui qui les avoit écrites ne fût à mille lieues de croire qu’elles seroient publiées, on a voulu absolument y trouver l’auteur des Lettres Persanes et, si quelque éditeur s’avisoit de faire imprimer jusqu’à son livre de recette et de dépense, on se figureroit que l’auteur de l'Esprit des Lois a dû le composer autrement qu’un autre. Aussi suis-je bien persuadé. Monsieur, que vous serez très difficile dans le choix des œuvres posthumes de monsieur votre père, parce que, sa réputation étant parvenue à son comble, ce sera faire beaucoup que de la soutenir. »

A la vérité, le temps n’était pas encore venu dé faire une publication semblable. Les contemporains de Montesquieu vivaient encore, et ce n’était pas