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MONTESQUIEU

qui fuient la mort pour jouir des biens réels, comme la vie, la tranquillité, les plaisirs, sont nés avec un cerveau de meilleure trempe que les insensés du Nord, qui sacrifient leur vie à une vaine gloire, c’est-à-dire qui aiment mieux vivre après eux qu’avec eux. Mais, comme le bon esprit de ceux-là se trouve, par hasard, avoir les conséquences de la servitude, et la mauvaise trempe de celui des autres, les conséquences de la liberté, il arrive que l’esclavage abaisse, accable et détruit l’esprit, tandis que la liberté le forme, l’élève et le fortifie. La cause morale détruit la cause physique, et la Nature est si fort trompée que les peuples qu’elle avoit faits pour avoir l’esprit meilleur ont moins de sens, et que ceux à qui elle avoit donné moins de sens ont l’esprit meilleur.

Dans notre Europe, il y a deux sortes de religions : la catholique, qui demande de la soumission, et la protestante, qui veut de l’indépendance. Les peuples du Nord ont d’abord embrassé la protestante ; ceux du Midi ont gardé la catholique. Or cette indépendance des peuples protestants fait qu’ils sont parfaitement instruits des connoissances humaines ; et cette soumission des peuples catholiques, qui est une chose très raisonnable et comme essentielle à une religion fondée sur des mystères, fait que le peuple, qui y sait au juste ce qui est nécessaire au salut, ignore entièrement ce qui n’y appartient pas ; de manière que les peuples du Midi, avec des idées plus saines sur les grandes vérités, même avec plus d’esprit naturel, ont d’ailleurs un désavantage très grand sur les peuples du Nord.