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MONTESQUIEU

néral d’une nation et décident plus de la qualité de son esprit que les causes physiques. On en peut trouver une grande preuve dans les Juifs, qui, dispersés dans toute la terre, venus dans tous les temps, nés dans tous les pays, ont eu quantité d’auteurs, dont on en peut à peine citer deux qui aient eu quelque sens commun.

On peut, cependant, croire que les rabbins avoient quelque avantage, du côté de l’esprit, sur le reste de leur peuple, avec autant de raison qu’on peut penser que ceux qui ont la réputation d’hommes de lettres dans l’Europe ont quelque avantage, du côté de l’esprit, sur les autres Européens. Cependant, parmi cette foule de rabbins qui ont écrit, il n’y en a pas un qui n’eût un petit génie. La raison en est naturelle : les Juifs revenant d’Assyrie étoient à peu près comme les captifs délivrés d’Alger, que l’on promène dans les rues ; mais ils étoient plus grossiers, parce qu’ils étoient nés et que leurs pères étoient nés dans l’esclavage. Quoiqu’ils eussent un respect infini pour leurs livres sacrés, ils en avoient peu de connoissance ; ils n’entendoient presque plus la langue dans laquelle ils étoient écrits ; ils n’avoient que des traditions des grandes merveilles que Dieu avoit opérées en faveur de leurs pères. L’ignorance, qui est la mère des traditions, c’est-à-dire du merveilleux populaire, en créa de nouvelles ; mais elles naissoient avec le caractère de l’esprit qui les produisoit, et prenoient encore la teinture de tous les esprits par où ils passoient. Des savants, c’est-à-dire des gens qui avoient la tête pleine de ces traditions grossières, les recueil-