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MONTESQUIEU

La complication des causes qui forment le caractère général d’un peuple est bien grande. Qu’un homme, à Constantinople, aille dans la maison d’un Turc, il ne lui entendra dire que les paroles qu’il ne pourra pas refuser ; qu’il aille dans la maison d’un Grec, il trouvera toute une famille qui ne cessera de parler. La nation turque est grave, parce qu’elle sent qu’elle règne ; la nation qui obéit n’a aucun caractère affecté. De plus, la maison d’un Turc est une monarchie ; celle d’un Grec est un état populaire. Le Grec, qui n’a qu’une femme, goûte cette joie qui accompagne toujours les choses modérées. Le Turc, qui en a un grand nombre, tombe dans une tristesse habituelle et vit dans l’accablement de ses plaisirs.

Quand on voit quelques uns de nos jeunes gens venir, aller, badiner, rire et se presser de faire toutes les sottises qu’ils voient avoir été faites par d’autres, lesquels, par les saillies de leur esprit, dédommagent de la réflexion dont ils manquent, qui ne diroit que ce sont des gens d’un esprit très vif[1] ? La plupart du temps, cela n’est pas ; mais leur machine est dressée à cet exercice, soit par la pente qu’on a d’imiter ce qu’on voit, soit par le préjugé du bon air, soit par l’envie de plaire ou de paroître plaire aux femmes ; car, comme, dans les pays où elles sont gênées, on fait fortune auprès d’elles par un air réservé, dans ceux où elles sont libres, on leur plaît par un air étourdi, soit que la réflexion soit même

  1. [En marge : ] Ne pas mettre absolument, mais seulement que la vivacité est aidée.