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MONTESQUIEU

et l’autre, non : le premier verroit des murs de cristal, des toits de rubis, des ruisseaux d’argent, des tables de diamants ; celui-ci ne verroit que des rochers affreux et des campagnes arides.

Telle est la constitution physique de notre machine que nous sommes trop frappés, ou trop peu, des choses qui nous viennent par les sens ou par un certain sens, ou des rapports mathématiques ou des moraux, ou des conceptions générales ou des particulières, des faits ou des raisonnements. L’un sera convaincu par la rhétorique ; l’autre ne le sera que par la simple logique. L’un sera frappé par les mots, et l’autre, seulement par l’évidence. L’un ne verra jamais la chose qu’avec la difficulté et sera incertain ; l’autre verra mieux la chose que la difficulté et croira tout ; l’autre, enfin, verra mieux la difficulté que la chose et ne croira rien. L’un sentira les choses, et non pas les liaisons, et n’aura aucun ordre ; ou bien il croira trouver des liaisons à tout, et il sera confus. Ici, on voudra toujours créer ; là, toujours détruire. L’un aura de l’action dans l’esprit ; l’autre ne fera que recevoir, comme une bourse qui ne rend que l’argent qu’on y met. Les idées qui ne feront qu’effleurer le cerveau d’un homme en perceront un autre, pour ainsi dire, de part en part, et jusqu’à la folie.

Mais, lorsque, outre la disposition particulière du cerveau, rarement construit de manière à recevoir les idées dans une juste proportion, l’éducation est encore mauvaise, tout est perdu. Nos maîtres ne nous communiquent les impressions que comme ils les