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MONTESQUIEU

à leur valeur. La première impression que nous recevons nous frappe presque toujours sans retour, et cela est bien aisé à comprendre : les premières idées sont toujours reçues dans un esprit, parce que, ne pouvant les comparer à d’autres, rien ne les lui fait rejeter. Or la seconde idée ne peut guère le faire revenir de la première, ni la troisième de la seconde ; car ce n’est qu’avec la première qu’il juge de la seconde, et qu’avec la seconde qu’il juge de la troisième. Ainsi les premières choses qui l’ont frappé, quelle qu’en soit la valeur, semblent devoir être, en quelque façon, indestructibles.

On a remarqué que les vieilles gens, qui oublient ce qu’ils ont fait la veille, se ressouviennent fort bien de ce qui leur est arrivé trente ans avant. La force des impressions dépend donc plus du temps de l’action que de l’action même, des circonstances dans lesquelles nous sommes touchés que du mérite de la chose qui nous touche.

Après les impressions que nous avons reçues dans l’enfance, notre âme en reçoit successivement un grand nombre d’autres, qui s’arrangent avec les premières, mais dans un ordre qui a pu se former de mille manières.

Avons-nous une grande confiance dans un homme qui nous parle ou dans un philosophe qui a écrit ? nous nous faisons un ordre de choses vraies, de choses bonnes et de choses convenables : ce sont celles que celui-ci a écrites, ou que celui-là nous a dites. Nous allons prendre dans une chose étrangère les motifs de nos opinions.