Page:Montesquieu - Mélanges inédits, 1892.djvu/196

Cette page n’a pas encore été corrigée
130
MONTESQUIEU

et leurs fibres ne sont pas rompues aux mouvements requis. Ils sont incapables d’ajouter des idées nouvelles au peu qu’ils en ont, et ce n’est pas seulement dans le cerveau que cette indisposition se trouve : on la trouveroit tout de même dans leur gosier, si on s vouloit les faire chanter, et dans leurs doigts, si on vouloit les faire jouer de quelque instrument de musique.

On a éprouvé que les sauvages de l’Amérique sont indisciplinables, incorrigibles, incapables de toute lumière et de toute instruction ; et, en effet, vouloir leur apprendre quelque chose, vouloir plier les fibres de leur cerveau, c’est comme si on entreprenoit de faire marcher des gens perclus de tous leurs membres.

La grossièreté peut aller à un tel point chez ces nations que les hommes y seront peu différents des bêtes : témoin ces esclaves que les Turcs tirent de Circassie et de Mingrélie, qui passent toute la journée la tête penchée sur leur estomac, sans parole et sans action, et ne s’intéressent à rien de ce qui se passe autour d’eux.

Des cerveaux ainsi abandonnés perdent leurs fonctions : ils ne jouissent presque pas de leur âme, ni elle de son union avec le corps.

C’est l’éducation qui rend cette union parfaite ; nous la trouvons chez les nations policées. Là, comme j’ai dit, nous en recevons une particulière dans notre famille, et une générale dans la société.

L’éducation particulière consiste : 1° à nous procurer des idées ; 2° à les proportionner à la juste va-