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ESSAI SUR LES CAUSES

SECONDE PARTIE

DES CAUSES MORALES QUI PEUVENT AFFECTER LES ESPRITS ET LES CARACTÈRES.


Ceux qui commencent à faire usage de leur raison se trouvent chez un peuple barbare, où l’on n’a aucune sorte d’éducation, ou bien chez un peuple policé, où l’on reçoit une éducation générale dans la société [1].

Ceux qui naissent chez un peuple barbare n’ont proprement que les idées qui ont du rapport à la conservation de leur être ; ils vivent dans une nuit éternelle à l’égard de tout le reste. Là, les différences d’homme à homme, d’esprit à esprit, sont moins grandes : la grossièreté et la disette d’idées les égalisent en quelque manière.

Une preuve qu’ils manquent d’idées, c’est que les langues dont ils se servent sont toutes très stériles : non seulement ils ont peu de mots, parce qu’ils ont peu de choses à exprimer, mais aussi ils ont peu de manières de concevoir et de sentir.

Les fibres de leur cerveau, peu accoutumées à être pliées, sont devenues inflexibles. Il faut comparer les hommes qui vivent chez ces peuples aux vieilles gens qui, parmi nous, n’ont jamais rien as appris : leur cerveau n’a pas, si je l’ose dire, travaillé,

  1. [Au bas de la page : ] Il me semble que ce qui concerne l’éducation languit. Car qui est-ce qui doute que l’éducation ne serve beaucoup ?