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ESSAI SUR LES CAUSES

courent impétueusement dans le cerveau, comme dans le transport, et y font des traces profondes.

Personne ne sauroit soupçonner les anciens Pères du Désert d’avoir été des imbéciles. La grande réputation qu’ils eurent de leur temps, les hommages que les gens du monde rendirent à leurs lumières, en venant les consulter de toutes parts, marquent qu’indépendamment de leur sainteté ils n’étoient pas des gens méprisables. Cependant ces pères, par leurs jeûnes et par leurs veilles poussées trop loin, se gâtèrent la tête à faire pitié, et les combats sans relâche qu’ils s’imaginèrent avoir contre les Démons furent une de ces foiblesses qui semblèrent attachées à leur genre de vie.

Le long usage du chant, surtout les hurlements, abrutissent encore. Nous voyons, dans Tite Live[1], que cette secte de débauchés qui célébroient les Bacchanales et s’assembloient dans les lieux secrets, où, dans les mystères de la superstition la plus impie, ils corrompoient ou égorgeoient des jeunes gens, au bruit des voix et des instruments de musique, s’étoient entièrement abrutis par leurs veilles et leurs hurlements continuels.

Nous savons que les Mahométans, qui, pour se procurer des extases, se mettent dans des tombeau : où ils veillent et ne cessent de hurler, en sortent toujours avec l’esprit plus foible. Mahmout [2], un des conquérants de la Perse, qui, dans quelque disgrâce,

  1. Quatrième Décade, livre IX.
  2. Histoire de la dernière Révolution de Perse, à Paris, 1728, t. II, p. 295.