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MONTESQUIEU

un état aussi éloigné de la santé que la grande douleur. Le plaisir d’être est le seul plaisir de celui qui est actuellement en santé.

L’usage immodéré du vin abrutit insensiblement. Les fibres sont excitées, mais pour un temps ; elles tombent, et il faut encore du vin pour les mouvoir. Bientôt la même dose ne suffira pas, et, pour produire le même effet, il faudra tous les jours une action plus forte.

Les grands seigneurs, qui s’épuisent par les plaisirs, tombent dans l’accablement, l’ennui, la foiblesse d’esprit, et ce sont des malheurs qu’ils communiquent à leurs enfants. Ils s’ennuient, parce qu’ils ne peuvent plus recevoir d’impressions nouvelles. Ils sont accablés, parce qu’ils ne sont plus capables de mouvements vifs. Ils ont quelquefois l’esprit foible, parce que, ne recevant plus que les impressions des objets présents, ils sont nécessairement déterminés par le mouvement actuel et momentané qu’on leur donne.

Le sommeil trop long abrutit extrêmement[1]. Les fibres restent trop longtemps sans être mues ; les esprits s’épaississent et séjournent dans leurs réservoirs. Les athlètes étoient les plus grands dormeurs[2] et les plus stupides de tous les hommes.

Les grandes veilles ne produisent pas la stupidité, mais l’imbécillité et même la folie[3], surtout si elles sont jointes aux grands jeûnes. Les esprits s’exaltent,

  1. Aulu Gelle dit qu’on a remarqué que les enfants qui dorment trop deviennent stupides. — Voyez mon extrait.
  2. Platon, République, livre Ier.
  3. Lire dans Boerhaave, De Vigilia (Institutiones medicœ),et, de plus, dans sa Pathologie ; c’est le même tome.