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ESSAI SUR LES CAUSES

Les passions agissent beaucoup sur nous. La vie n’est qu’une suite de passions, qui sont quelquefois plus fortes, quelquefois plus foibles ; tantôt d’un genre et tantôt d’un autre. Il ne faut pas douter que la combinaison de ces passions pendant toute la vie, combinaison différente dans chaque homme, ne mette de grandes variétés dans les esprits.

Il y a des passions qui donnent du ressort aux fibres ; d’autres qui les relâchent. Cela se prouve, d’un côté, par la force et la puissance de la colère, et, de l’autre, par les effets de la crainte. Les bras tombent, les jambent plient, la voix s’arrête, les muscles se relâchent. Ainsi une vie longtemps timide ou longtemps courageuse le sera toujours.

Nous devons être extrêmement ménagers des fibres de notre cerveau. Comme les mouvements modérés nous en promettent une infinité d’autres, les violents prennent sur ceux qui doivent suivre. Les Orientaux s’égaient avec une décoction de chanvre, qui leur procure des idées si agréables et des plaisirs si vifs, qu’ils sont pendant quelques heures comme hors d’eux-mêmes. La suite de cela est un abattement total et un état qui approche de la léthargie. L’effet de cette liqueur[1] est de tirailler les fibres[2], qui deviennent incapables d’être mues par une action moindre. Une dose n’abrutit que pour un temps ; un long usage abrutit pour toujours. La grande joie est

  1. Elle échauffe, augmente la force du cœur et le mouvement du sang ; les liquides atténués passent avec force dans les vaisseaux du cerveau, où ils ne devroient entrer que foiblement.
  2. Ce tiraillement est la cause de la perte d’idées qui se fait dans de certaines maladies.