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ESSAI SUR LES CAUSES

résistance à passer par l’aorte inférieure[1] que par les branches de la supérieure, il monteroit au cerveau en plus grande quantité, et il ne faut pas douter que la filtration des esprits ne fût très différente de ce qu’elle seroit dans le cas contraire. Et cet effet seroit permanent, car les vaisseaux, ayant plus de liquide à contenir, augmenteroient leur diamètre.

Les parties ne remplissent bien les fonctions auxquelles elles sont destinées que lorsque leur grandeur est dans la proportion qu’exige la mécanique du corps. La tête doit loger six lobes du cerveau et deux du cervelet ; sa figure doit donc répondre à cette destination. Si nous ne la lui voyons pas, il faut qu’il y ait quelque irrégularité dans celle du cerveau.

Quoique, lorsque nous pensons, nous sentions que l’action se fait dans la tête, et non pas dans les pieds et les mains, cependant ce ne sont pas les seules fibres du cerveau qui intéressent l’esprit[2]. Un exemple donnera du jour à ceci.

  1. Il y a des sujets où l’on trouve deux veines jugulaires externes de chaque côté ; le sang se vide plus aisément du cerveau, et, par conséquent, y monte plus aisément.
  2. Plus les sensations nous sont nécessaires, plus elles sont claires, fortes, générales. Ainsi le sens de la vue, de l’ouïe et du toucher sont très distincts. Les nerfs, qui en sont les organes, frappent et touchent dans un climat comme dans un autre. Ce sont les petites sensations, lesquelles sont inutiles au bien de la machine, qui ne sont pas données à tous, mais seulement aux gens délicats. Il a été nécessaire que chacun entendît les sons ; non que chacun, fût sensible aux beautés de la musique. Il a été nécessaire que chacun sût exprimer ses pensées par la parole ; mais il n’a pas été nécessaire que tout le monde pensât finement. En un mot les actions fortes et grossières des sens sont données à tous les hommes ; les délicates sont données à peu.