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ESSAI SUR LES CAUSES

donc que les fibres que l’âme meut sont grossières, les vibrations en sont moins fréquentes et plus lentes[1].

Les objets extérieurs donnent à l’âme des sensations[2]. Elle ne peut pas se les redonner, mais elle peut se rappeler qu’elle les a eues ; elle a senti une douleur ; elle ne se rend point cette douleur, mais elle sent qu’elle l’a eue : c’est-à-dire qu’elle se remet, autant qu’il est en elle, dans l’état de la sensation. Pour l’avoir véritablement, il faudroit qu’elle lui vînt par la voie par laquelle elle l’a déjà eue. Une idée n’est donc qu’un sentiment que l’on a à l’occasion d’une sensation qu’on a eue, une situation présente à l’occasion d’une situation passée.

Lorsque, par le moyen des sens, l’âme a senti une douleur, l’irritation de la partie a fait une pression à l’origine du nerf et excité un mouvement aussi sensible que l’irritation a été forte. Or l’âme, qui a la faculté de faire passer les esprits où elle veut (comme l’expérience de tous les mouvements volontaires le fait voir), peut faire repasser les esprits par les chemins où ils ont été[3], lorsqu’ils ont été excités par une cause étrangère. Ils repassent donc

  1. Les fibres de notre cerveau, incessamment remuées, doivent être comme celles des doigts d’un joueur de clavecin, qui semblent, par la force de l’habitude, aller toutes seules et ne dépendre plus de la volonté.
  2. [Note détachée :] L’âme peut faire trois choses : 1° retenir les esprits et les employer à se redonner les sensations ; 2° s’en servir pour les divers mouvements qu’elle veut donner au corps ; enfin, les laisser aller, par le cervelet, pour les mouvements de la vie.
  3. [Note détachée : ] Ce que dit M. Sénac, que la révulsion des esprits est inexplicable. Pourquoi cela ? Je sais bien qu’ils ne