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DIALOGUE DE XANTIPPE ET DE XÉNOCRATE

Lycurgue en a proscrit l’usage. Nos pères, qui prirent ses loix, le quittèrent sans regret, et nous nous en passons sans vertu. »

« Xantippe, lui dis-je, vos réponses m’humilieroient si elles ne portoient point dans mon cœur une vive ardeur de vous imiter ; mais, comme je ne suis qu’un homme, permettez que ma tendresse pour vous parle encore un moment. Vous êtes exilé de Lacédémone. Vous quittez Carthage. Où irez-vous ? »

« Xénocrate, me dit-il, depuis le jour où je vis Sparte la dernière fois, tous les lieux sont pour moi les mêmes. Lacédémone, en nous rayant du nombre de ses citoyens, nous laisse ce qu’elle nous donnoit : la vertu. Laissons pleurer les exilés de Crotone[1] et de Sybaris ! Ils perdent tout, privés d’une patrie qui seule peut souffrir leur mollesse, et qui leur refuse les voluptés qu’elle leur avoit promises. Pour moi, je n’ai perdu que ce que je puis avoir dans tous les pays. »

« Xantippe, lui dis-je, vous autres héros vous dédommagez de tout par l’idée de l’admiration où vous jetez l’Univers. Le souvenir des grandes actions que l’on a faites adoucit bien des amertumes ; les victoires sont des compagnes qui consolent toujours. On a bien tort de plaindre des hommes, qui, après leur chute, se trouvent encore si fort au-dessus des autres, et que l’on appelle malheureux pendant qu’ils sont couverts de gloire. »

« Xénocrate, me répondit-il, je ne connois point cette espèce de bonheur qui ne se rapporte qu’à

  1. I. [Entre les lignes : ] Effacer Crotone. — Lampsaque.