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MONTESQUIEU

à Carthage ce dont j’ai été accusé à Lacédémone ? Non ! Xénocrate, je dois quelque jour rendre compte à ma patrie de mon exil même, et lui faire voir comment j’ai usé de ses punitions et de sa colère. Que les exilés d’Athènes aillent soulever contre elle les Grecs et les Barbares ; qu’ils viennent les armes à la main : ils lui redemandent des droits qu’on ne peut mériter que par ses larmes[1] » ! Je plains une mère qui a des enfants si cruels, et qui, ne les ayant vu soumis que dans cet âge tendre fait pour craindre tout, a obtenu quelque chose de leur foiblesse et rien de leur amour. Pour moi, Xénocrate, je n’ai jamais cessé un moment d’être citoyen de Sparte. J’ai été dans les pays étrangers tel que j’aurois été dans ses murailles : toujours enfant de Lycurgue, c’est à dire ennemi de la tyrannie. Je fuis de tous les lieux où je pourrois en être soupçonné. »

« Xantippe, lui répondis-je, je connois toute la grandeur de votre âme ; mais il n’y a pas un seul Grec qui ne soit indigné pour vous de l’ingratitude des Carthaginois. Est-il possible qu’après avoir tant reçu[2] ils ne vous aient pas accordé un seul honneur, ni un seul bienfait ? »

« Et quel bien, grands Dieux ! répondit-il, un peuple barbare pourroit-il faire à un Lacédémonien ? Est-ce de l’argent ou de l’or ? De l’or, dont les enfants de Sparte ne sont pas éblouis ? De l’or, dont, chez nous, les femmes publiques rougiroient de se parer ? De l’or, qui n’est pas même envié par nos esclaves ?

  1. [Entre les lignes : ] Oter larmes.
  2. [Entre les lignes : ] Je crois reçu trop bas.