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DIALOGUE DE XANTIPPE ET DE XÉNOCRATE

sa ville, je ne crois point qu’il l’eût soumise à une discipline si sévère ; mais il a voulu former des hommes extraordinaires, qui veillassent sur les intérêts de tous les humains. J’ai vu les Carthaginois prêts à tomber sous un joug étranger. « Carthage, ai-je dit, a dans ses murs un Lacédémonien : elle ne doit point être sujette. Puisse Lacédémone apprendre avec plaisir que les citoyens qu’elle a dégradés ont toujours conservé la noble ambition de se rendre dignes d’elle, et que, si je n’ai pu travailler pour son bonheur, j’ai, du moins, travaillé pour sa gloire ! »

« Il y a, lui dis-je, une chose qui surprendra tout le monde : c’est que vous n’avez point trouvé un asile dans une ville dont vous êtes le libérateur. »

« C’est parce que je l’ai sauvée que je la quitte aujourd’hui. On ne sauroit guère être libre et avoir à tous les instants son libérateur devant ses yeux. Est-il juste qu’un seul homme gêne un peuple immense ? Je laisse à Carthage des loix pour lesquelles j’ai combattu, et ne veux point, par une présence importune, diminuer le présent que je lui ai fait. »

« J’avoue, lui dis-je, que, si vous aviez gardé le commandement, des armées, vous auriez pu vous rendre suspect. Mais vous le quittâtes d’abord et allâtes vous confondre dans la foule des citoyens. »

« J’étois, me dit —il, connu des soldats, et j’en étois aimé[1]. O Dieux ! qu’un Lacédémonien doit rougir d’être un tyran, lui devant qui tous les peuples doivent être libres. Que diroient mes ennemis, ou plutôt que diroit ma famille, si l’on savoit que je me suis permis

  1. [Entre les lignes : ] Passage trop brusque.