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MONTESQUIEU

eût besoin de travailler à la destruction des autres peuples.

» J’avois l’esprit vraiment patriote : j’aimois mon pays, non seulement parce que j’y étois né, mais encore parce qu’il étoit une portion de cette grande patrie qui est l’Univers.

» Ayant été obligé de faire un voyage à Athènes, je vis les nouveaux bâtiments qu’on y élevoit. Je sentois que je m’y intéressois, et que j’étois bien aise que les hommes eussent une si belle demeure de plus.

» Un homme, qui revenoit d’Asie, me parloit de la magnificence de Persépolis. Les idées riantes, grandes et belles que j’en prenois produisoient une sensation agréable dans mon âme : j’étois bien aise que ce beau lieu subsistât sur la terre. Sans que je l’eusse vu, il m’avoit déjà fait passer des moments heureux.

» Comme les Dieux habitent les temples et chérissent ces demeures, sans perdre leur amour pour le reste de l’Univers, je croyois que les hommes attachés à leur patrie dévoient étendre leur bienveillance sur toutes les créatures qui peuvent connoître et qui sont capables d’aimer.

» Si j’avois su quelque chose qui m’eût été utile, et qui eût été préjudiciable à ma famille, je l’aurois rejeté de mon esprit. Si j’avois su quelque chose utile à ma famille, et qui ne l’eût pas été à ma patrie, j’aurois cherché à l’oublier. Si j’avois su quelque chose utile à ma patrie, et qui eût été préjudiciable à l’Europe, ou qui eût été utile à l’Europe et préju-