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HISTOIRE VÉRITABLE

Comme il ne sortoit pas de son incertitude, j’ajoutai : « L’irrésolution a tous les effets de la timidité, et elle en a d’ailleurs de pires. Les Dieux vous ont donné des armées, et vous avez sans doute de la prudence et du courage. Ce sont les oracles qu’il faut consulter. »

» Les anciens rois avoient ruiné leurs sujets pour construire des pyramides ; celui-ci voulut faire comme eux. Je lui dis : « Seigneur, une courtisane de Nocratis fit autrefois bâtir une pyramide. Elle avoit raison : elle laissoit un monument de sa beauté. Mais je ne vois pas ce que celle que vous voulez élever prouvera à la postérité en votre faveur. — « Elle prouvera ma puissance, » dit le Roi. — « Et qui est-ce qui doutera jamais de la puissance d’un roi d’Égypte ? Il y a apparence que les folies de vos successeurs la prouveront assez, sans que vous vous en mêliez. La véritable grandeur seroit de vous distinguer par vos vertus de ceux qui seront aussi puissants que vous. » — « Vous n’êtes point, me dit le Roi, instruit de la religion des Égyptiens. Nous croyons que nous devons vivre dans les tombeaux, et nous autres rois, toujours exposés à la fureur du peuple, qui craignons qu’après notre mort il ne la porte sur nos mânes sacrées, bâtissons des pyramides, qui puissent nous en garantir. » — « N’avez-vous, lui dis-je, que cette ressource pour jouir de l’immortalité ? L’amour de vos sujets ne vous défendroit-il pas mieux que vos pyramides ? Le corps du roi Osiris est depuis si longtemps exposé sans défense devant tout le peuple : voyez si quelque Égyptien a été encore assez sacri-