Page:Montesquieu - Mélanges inédits, 1892.djvu/142

Cette page n’a pas encore été corrigée
76
MONTESQUIEU

se fortifient, les âmes deviennent plus courageuses et acquièrent plus de grandeur. D’où vient cela ? Dans le premier cas, les âmes, continuellement replacées, restent toujours parmi les créatures ; dans le second, elles restent longtemps parmi les Dieux.

» J’étois Grec, et, à l’exemple de plusieurs philosophes, je parcourus divers pays. Je m’arrêtai quelque temps en Egypte, et j’y acquis de la réputation. Le Roi étant sur le point de partir pour une expédition, un prodige heureux arriva à Memphis, et on en rapporta un autre de Sais, qui fut jugé malheureux. Dans cette incertitude, on consulta divers oracles, et ils se trouvèrent aussi peu d’accord que les prodiges. On interrogea les prêtres, et, chacun d’eux faisant valoir son opinion, ils jetèrent le Roi dans une perplexité plus grande. Jugez-en, puisqu’il eut recours à moi qui étois étranger. « Seigneur, lui dis-je, les hommes ne sont point faits pour connoître les volontés particulières des Dieux, mais pour savoir leurs volontés générales. Ils désirent que vous ne fassiez pointée guerre injuste, et que vous n’employiez la puissance qu’ils vous ont donnée que comme ils feroient eux-mêmes, s’ils l’avoient retenue. » — « Mais les entreprises les plus justes, dit le Roi, peuvent ne pas réussir, et un oracle, reçu à propos, peut nous en détourner. » — « Si les Dieux, répondis-je, vouloient vous détruire, ils seroient insensés de vous révéler leurs desseins ; ils sont assez prudents pour garder leurs secrets. C’est vous, qui vous asservissez à ce que vous appelez des prodiges, et non pas eux. »